Le Gault&Millau a récemment publié une critique très négative suite à sa dernière visite de l’Auberge À la Bonne Idée du chef Sébastien Tantôt. Un texte totalement orienté où l’on sent la volonté délibérée de dézinguer une table qui fait l’unanimité. Une critique qui interroge sur la nouvelle posture du Gault&Millau.

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La critique de table est un art difficile et délicat. Il suffit d’encenser pour être suspecté de connivences et, inversement, une critique très négative et l’on vous reprochera de vouloir régler vos comptes. Chez Atabula, nous connaissons la chanson, nous assumons nos textes, parfois virils, parfois très positifs, et nous rappelons régulièrement que nous les rédigeons avec une « subjectivité sincère ». Sincérité car il n’y a jamais de parti-pris, jamais d’a priori ; subjectivité car une expérience (et un jugement) reste très personnelle et que le même repas pourra provoquer une réaction à l’opposée de la nôtre. Il n’y a finalement que peu de vérité objective dans une critique de table. Cela oblige son rédacteur à beaucoup de modestie ; cela oblige le lecteur à ne jamais prendre pour argent comptant tout ce qu’il lit et se faire son propre avis. 

Une fois cela posé, il n’en demeure pas moins que la récente critique du Gault&Millau sur l’Auberge À la Bonne Idée (Saint-Jean-aux-Bois) interpelle à plus d’un titre. Tâchons d’y voir plus clair. 

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De quoi parle-t-on ? 

Le guide jaune actualise ses textes au fil de l’année et en fonction de ses visites dans les restaurants. Le texte en question est accessible sur le site du Gault&Millau (lien en fin d’article). 

Du coup, le restaurant n’est plus noté que deux toques (au lieu de trois dans le guide 2022) et 14/20 (au lieu de 15/20).

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Qu’est-ce que contenait la critique millésime 2021 (parue dans le guide 2022)

En résumé : « Que de progrès depuis un an !! », « Sébastien Tantot a trouvé ses marques », « un repas à trois toques très prometteur », « jeune équipe dévouée et vigilante, cave assez classique qui peut aussi progresser ». 

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Qu’est-ce que contient la critique millésime 2022

En résumé : « Auberge de campagne pomponnée comme un dimanche à l’ambiance guindée d’une autre époque », « des plats de concours, délaissant un peu le goût juste au profit de l’exploit esthétique un brin pompeux », « nous avons eu à très peu de choses près le même menu que l’an passé », « Carte des vins un peu brouillonne, sans réelle direction, certaines régions avantagées (la Bourgogne, la Loire), d’autres quasi négligées, à des prix qui semblent eux aussi fixés au petit bonheur ». En somme, rien n’a convaincu l’enquêteur du Gault&Millau. Lequel se demande si le guide ne s’est pas « emballé l’an dernier » en accordant trois toques (la réponse semble être oui puisque la table perd une toque et un point). Reprenons point par point et essayons de comprendre.

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« Auberge de campagne pomponnée comme un dimanche à l’ambiance guindée d’une autre époque »

Il y a quelques années, interrogé par Atabula, Marc Esquerré, le dégustateur en chef du guide, regrettait amèrement la disparition des auberges de campagne, leur ambiance un brin surannée mais vraie dans leur discours culinaire et solidement ancrée à leurs racines. Cette auberge, justement, incarne cette vitalité de la campagne, cet engouement des jeunes chefs à faire vivre ces masures marquées par le temps en leur impulsant une énergie renouvelée. Alors oui, il n’y a pas le cadre épuré « à la scandinave » qui fait fureur, non il n’y a pas non plus la décoration de tel ou tel décorateur vu et revu partout en France, mais il y a une âme qui s’impose, avec ses imperfections, son charme si singulier : une auberge tout simplement. Comment le Gault&Millau peut-il attaquer aussi frontalement l’image de l’« auberge de campagne » dont nous rêvons tous aujourd’hui pour son authenticité ?

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« Des plats de concours, délaissant un peu le goût juste au profit de l’exploit esthétique un brin pompeux »

L’an dernier, tout n’était que louanges dans le guide : le texte du guide opus 2022 – qui fait en tout 20 lignes – encense les plats, en les détaillant parfaitement sur… 14 lignes ! Or, comme l’enquêteur le précise, il a mangé quasiment la même chose que l’an dernier. N’y aurait-il pas un petit problème quelque part ? Faudrait peut-être que le « jaune » s’harmonise un petit peu…

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« Nous avons eu à très peu de choses près le même menu que l’an passé »

Jamais très agréable de manger la même chose d’une année sur l’autre mais deux remarques : d’abord, comment peut-on qualifier « des plats de concours, délaissant un peu le goût… » en 2022 alors que les mêmes l’an dernier faisaient crier de bonheur la même personne ? Cela ne tient pas la route. Ensuite, il serait bien que le guide ose écrire la même chose pour toutes les très grandes tables (à quatre ou cinq toques) qui reproduisent depuis 20 ou 30 ans les mêmes plats ! Le deux poids deux mesures n’est plus dans l’air du temps cher guide !

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« Carte des vins un peu brouillonne, sans réelle direction, certaines régions avantagées (la Bourgogne, la Loire), d’autres quasi négligées, à des prix qui semblent eux aussi fixés au petit bonheur »

Certes, l’Auberge pourrait faire mieux côté cave mais n’est-ce pas là encore une attaque qui se veut méchante, et même vicelarde ? Tout le monde n’a pas les moyens de se construire une grande cave, avec de grands noms, en quelques mois d’existence. Une cave, chaque professionnel le sait, constitue une immobilisation importante. Quant à la notion de direction, peut-on dire qu’un livre de cave qui contient des milliers de références donne forcément une direction ? Des régions avantagées ? Avantagées, cela veut dire quoi, qu’il y a plus de choix d’une région à une autre ? N’est-ce pas toujours le cas ? N’est-ce pas un moyen justement pour le chef de reconnaitre que certains vins collent mieux à sa cuisine ? Quant aux tarifs « au petit bonheur », notre cher enquêteur, a peut-être au moins pu se faire plaisir avec une belle quille à petit prix. Qu’il se réjouisse alors d’être un fin connaisseur !

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En résumé…

En conclusion, le Gault&Millau n’a pas envoyé un enquêteur chez Sébastien Tantot, mais un sniper qui avait pour mission de tirer à vue. Pourquoi ? Dur à dire avec une totale certitude. Mais on peut légitimement se demander si le Gault&Millau n’est pas en train de chercher à faire le buzz en ce moment, à quelques semaines de la publication de son guide national ? Pas impossible. Marc Esquerré est trop malin pour ne pas mesurer les possibles conséquences d’un tel texte, tout comme il a laissé vivre (et exciter) le débat entre les chefs autour de la suppression des notes pour ceux qui ne proposent pas de carte. Après l’effacement de façade de l’actionnariat russe du guide, après les crises à répétition et les couacs des textes modifiés (et les notes) sans la moindre visite d’un enquêteur, le jaune veut se montrer offensif et prouver qu’il compte encore dans le paysage. Il se pose ainsi en acteur politique du monde de la gastronomie – la réflexion sur la suppression des notes pour les tables sans carte -, et en guide indépendant – en fracassant une table qui fait l’unanimité. Stratégiquement, c’est pas mal vu ; politiquement, c’est plutôt risqué ; humainement, c’est dégueulasse. 

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PratiqueLien vers la critique du Gault&MillauLien vers le site de l’Auberge À la Bonne Idée

InstagramLien vers le profil de l’Auberge À la Bonne Idée

Photographie | Gault&Millau