Il y a toujours une part d’ombre dans le business. Le dit et le non-dit, le pensé et l’impensé. Et l’interprétation qui en résulte. Le deal, annoncé lundi 20 septembre, entre Zenchef et le fonds américain PSG Equity n’échappe certainement pas à ce schéma. Car derrière le communiqué de presse, bien propre sur lui comme toujours, qui ne dit que le beau et les vertueuses ambitions, se cachent de nombreuses questions. Et quelques peurs.
D’abord sur les chiffres. Le communiqué de presse, envoyé officiellement mardi matin, parle clairement d’un investissement de 50 millions d’euros. Quelques minutes plus tard, Atabula reçoit une information selon laquelle la somme tournerait plutôt autour de 100 millions d’euros au global. Un montant que l’on retrouve dans un article des Echos, qui affirme que « le fonds américain PSG Equity a racheté la start-up française en injectant 100 millions d’euros ». D’un seul coup, on passe de 50 à 100 millions (excusez du peu…) et, en outre, on parle de rachat et non plus d’un « investissement auprès de PSG ». Si les mots ont un sens, l’art de la communication n’en a que faire. Justement, la communication officielle parle de développement européen, d’une nouvelle application pour réserver en ligne – sans que l’on sache trop où est la nouveauté… -, etc. Mais bien sûr l’essentiel n’est jamais écrit, mentionné, précisé : derrière la somme astronomique se niche le passage du trio fondateur du statut de majoritaire et décisionnaire à celui d’associés minoritaires. Une réalité confirmée par Xavier Zeitoun, co-fondateur, à Atabula. Dans les faits, la société française est donc passée sous pavillon américain, celui d’un fonds qui n’aura d’autres ambitions que de maximiser les profits pour mieux revendre demain à plus offrant. Autrement dit, la philosophie affichée de la « passion de la restauration » a laissé place à la pure logique du gain, du profit, du fric bien pesé et emballé. Comme un signe annonciateur : il y a à peine un an, Zenchef lançait fièrement son « Club de Restaurateurs associés » pour « les faire participer aux décisions stratégiques et à la redéfinition des évolutions produit ». Quelques mois plus tard, le Club n’était plus que cendres. Personne ne s’est plaint puisque lesdits restaurateurs-investisseurs y ont plus que retrouvé leur deniers en un temps record.
Sans tomber dans la caricature, ne doit-on pas se questionner sur de tels investissements au profit de sociétés qui perdent de l’argent, qui ne cessent de se projeter dans un monde idéalisé, mais surtout déstabilisé et déstabilisant ? Ne devrait-on pas valoriser au contraire des sociétés qui avancent en équilibristes des gains et des coûts, qui ne travestissent pas des avenirs par nature incertains ? En cuisine, on sait que les bulles n’ont guère d’intérêt.
Dans la jungle des tarifs de Zenchef
Atabula a tenté de comprendre la politique tarifaire de Zenchef et s’est cassé les dents ou presque. Il y a encore quelques mois, le premier prix (Zenbook) était de 49€ par mois, le deuxième (Zenreviews) de 79€ par mois, le troisième (Zenmarketing) de 99€ par mois. Récemment, sans que l’on sache pourquoi, l’offre a évolué ainsi : le premier tarif (Zen) est passé à 109€ par mois, le deuxième (Zen Plus) à 139€ par mois, et le troisième (Premium) à 199€ par mois. Il faut ajouter à cela que, dans les anciens tarifs, il y avait beaucoup de tarifs cassés pour faire venir le chaland. Un moyen comme un autre de perturber le marché, d’être plus attractif que la concurrence. Sauf que, désormais, les Américains vont resserrer tout ça et le coût de l’intermédiation chez Zenchef change de dimension. Business as usual…
Enfin, dans un secteur concurrentiel mais avec peu d’acteurs (TheFork, Guestonline, Zenchef, Dujour.pro pour la réservation en ligne), l’arrivée d’un fonds américain fleure bon la mise en place d’une politique agressive – ce qui était déjà le cas avant… – pour s’emparer de toutes les parts de marché possibles. Il n’est pas rare que, dans la ‘nouvelle économie’, le profit ne passe que par la concentration du marché dans une seule main, donc une recherche du monopole, donc à tuer d’une façon ou d’une autre la concurrence. Pour le monde de la restauration, ll faudrait être aveugle pour ne pas voir le danger. Quelque 7 000 clients aujourd’hui, objectif 25 000, voire plus, en 2024 pour Zenchef. Reste à savoir comment vont réagir les premiers concernés, les proies – pardon, les restaurateurs -, entre celles qui vont privilégier le côté business (le court-terme) et celles qui vont regarder les valeurs et la qualité des uns et des autres (le long-terme) pour faire leur choix. Et tant qu’il y a du choix, il y a de l’espoir.
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