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Cuisine (très) sensible

La notation d’Atabula va de 1A à 5A.

Les notations 1A et 2A correspondent à un « coup de gueule » ; 4A et 5A valent un véritable coup de coeur d’Atabula.

Pour la notation, sont pris en compte de multiples critères (assiettes, service, ambiance, etc.). Mais, surtout, sont appréciés la cohérence et le plaisir global de la table. 

Aucune note n’est parfaite, aucun jugement n’est incontestable ; derrière le semblant d’objectivité de la note demeure la subjectivité d’un palais et d’un instant ; à chaque mangeur de se faire son avisvoilà bien l’essentiel.


Il y a des menus qui vous perdent en route à force de tours et détours ; il y en a d’autres qui vous mènent par le bout du nez (et de la fourchette) en suivant des rails bien trop rectilignes ; et puis il y a ceux qui vous transportent en toute liberté, sans diktat ou faux-semblant. Ni otage d’une prétention, ni prisonnier d’un artéfact, le mangeur s’épanouit alors par la grâce de l’évidence culinaire. Telle pourrait être la définition d’un bon restaurant ou, plus exactement, de la belle auberge. Auberge, un terme qui jouit d’une douce aura surannée, qui sent la province d’hier, à l’époque où l’on recevait le voyageur de toute condition et à toute heure ; auberge aubergiste, des mots remis au goût du jour par certains pour souligner que, justement, l’hospitalité n’est pas un vain mot théorique à l’heure où le restaurant se meurt doucement à cause du manque de personnel.

À Saint-Jean-aux-Bois, micro village de l’Oise célèbre pour son abbatiale, une auberge connait une nouvelle vie, rayonnante et bouleversante. À la Bonne Idée, tel est son nom. Aux fourneaux, le chef Sébastien Tantôt, qui a tenu pendant de longues années la barre du Petit Nice, navire marseillais triplement étoilé. Autant dire qu’il connait ses gammes sur le bout des doigts, techniques, esthétiques et gustatives. Du début jusqu’à la fin, la cuisine revendique une sublime gourmandise, jouant sur la fraicheur, la puissance ou la finesse. D’emblée, son « Vitrail, Mon hommage à Saint-Jean-aux-Bois » touche au coeur. Un plat intime. Nul besoin d’en connaitre l’exacte source d’inspiration pour plonger dans ce plat et ressentir une émotion profonde. Avec cette entrée en matière, le chef délivre sans extravagance déplacée toute sa sensibilité. Laquelle se retrouvera dans son « Isengard, fins copeaux de foie gras et d’anguille de la Haute Somme, champignons des carrières de Noués, assaisonnés de vinaigre de Grenade », un plat à l’équilibre parfait, suave, sans aspérités inutiles, grassement droit, gravement addictif. Tout le repas se fera sur un chemin de crête avec, d’un côté, des assiettes concentrées et précises, de l’autre, une liberté culinaire de haute volée, au milieu, un mangeur arrimé à la maitrise technique et gustative du chef et qui voyage ainsi avec l’assurance d’arriver à bon port.

En ressortant de l’Auberge nait ce sentiment d’avoir vécu un moment singulier, loin de toute standardisation et, dans le même temps, émane cette impression de retomber dans des souvenirs d’enfance, de voir rejaillir les souvenirs de ce restaurant d’antan où l’on allait en famille le week-end, cette grande table où tout était plus grand et plus beau qu’ailleurs. L’Auberge À la Bonne Idée est à l’image de son chef : sensible et fragile, mais également fière et sûre d’elle. Férocement bonne, faussement sage, terriblement humaine.

Amuse bouche
Le gâteau de tomates ‘Pati’ en cuisson longue, caviar Kristal, sucs de légumes et agrumes rôtis
Isengard, fins copeaux de foie gras et d’anguille de la Haute Somme, champignons des carrières de Noués, assaisonnés de vinaigre de grenade
Origami de brochet, exsudat de laitance maturée
Le miel de l’Auberge, miso blanc
Fruits rouges de la ferme de Génancourt, plantes et fleurs cristallisées à la sève de bouleau

Date | Août 2021

Plats – Vitrail, mon hommage à Saint-Jean-aux-Bois ; Le Gâteau de tomates ‘Pati’ en cuisson, caviar Kristal, sucs de légumes et agrumes rôtis ; Isengard, fins copeaux de foie gras et d’anguille de la Haute Somme, champignons des carrières de Noués, assaisonnés de vinaigre de grenade ; Rafraichissement, l’eau de pomme et verjus gratté de la maison Bourgouin ; Origami de brochet, exsudat de laitance maturée ; La darne de sandre, écrevisse d’ici et soupe de carpe miroir ; Agneau blanc de blanc de Sisteron, assaisonné d’anchois de Cantabrie, pollen de fenouil et caviar Kristal ; Les fromages de Perrine ; le miel de l’Auberge, miso blanc ; Fruits rouges de la ferme de Génancourt, plantes et fleurs cristallisées à la sève de bouleau ; Les douceurs de Romain Bovay

Tarifs – Menus à 53€, 72€ et 135€

Le plus – Ce sentiment de l’auberge moderne : une décoration à l’ancienne (voir ci-dessous) et une cuisine d’aujourd’hui, un micro-village magnifique, un anti conformisme qui fait du bien.

Le moins – Certains n’apprécieront pas la décoration, loin du standardisé rassurant réalisé par les mêmes architectes d’intérieur dans le Tout Paris tendance… Question de goût(s) dirons nous.

Service – Entre l’assurance du directeur de salle et les premiers pas d’un jeune serveur plein de bonne volonté. Un service humain, tout simplement.

Déco – ‘Dans son jus’ pourrait-on dire. Poutres, pierres, moquettes, jolies tables nappées : l’auberge d’hier mais modernisée juste ce qu’il faut. Il en ressort une belle chaleur qui manque tant dans d’autres établissements botoxés et ripolinés de près.

Arts de la table – De la belle vaisselle à l’ancienne.

Michelin – Aujourd’hui notée une étoile, il semble évident que cette Auberge mérite très amplement la deuxième étoile.

Autre – Quelques chambres pour celles et ceux qui veulent dormir sur place ; belle abbatiale à visiter et à deux pas.

Pratique – 3 rue des Meuniers, Saint-Jean-aux-Bois (60) | Fermé le lundi et le mardi | 03 44 42 84 09


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Photographies | FPR