La crise du coronavirus invite à repenser nos modes d’alimentation et le monde de la restauration dans une optique plus vertueuse et durable. C’est tout l’objet de la série « Panser demain », qui présentera chaque semaine une initiative innovante en la matière.
Cette semaine, Atabula s’intéresse à un restaurant écologique avec vue et entièrement démontable, qui proposera à ses hôtes une cuisine de chefs migrateurs travaillant avec des producteurs locaux au gré des saisons. Au fil de ses voyages, le projet Ventrus pourrait bien semer les graines de la restauration de demain.

Le projet
Une structure en bois démontable réinstallée chaque saison dans un lieu offrant une vue exceptionnelle, où l’on mange une cuisine de chef portée par des producteurs locaux qui respectent leur environnement. Voilà le rêve nomado-gastronomique bientôt réalisé de Guillaume Chupeau. Son restaurant itinérant a été conçu par l’architecte François Muracciole, assisté d’Alice Muncke. Il pourra accueillir 70 couverts et s’épanouira en toute éco-responsabilité : la consommation d’eau y sera 90% inférieure à celle d’un restaurant classique grâce à un partenariat avec la startup lyonnaise Inovaya, les toilettes autonomes installées par Weco disposeront d’un système de recyclage intégré des eaux usées. Côté cuisine, Guillaume Chupeau pourra s’appuyer sur des chefs qui partagent sa vision locavore et vertueuse du bien-manger. En août prochain, Ventrus devrait poser sa bedaine à l’entrée du parc national des Calanques à Marseille, sous la férule d’Emmanuel Perrodin, chef acquis à la cause du nomadisme culinaire. À moins que la crise du coronavirus ne pousse son fondateur à revoir ses plans. Auquel cas, l’aventure pourrait débuter au bord du canal de l’Ourcq à Paris, avec la bénédiction du parc de la Villette. Ancienne ingénieure, fortement engagée en faveur de la protection de l’environnement, la cheffe Juliette Brunet est aussi de la partie. Comme Emmanuel Perrodin, elle a mis quelques billes dans la société pour affirmer son attachement au projet.
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Le financement
Pour se lancer, Guillaume Chupeau a pu compter sur le soutien d’une dizaine de proches lui permettant, avec sa contribution personnelle, de démarrer avec environ 180 000 euros de fonds propres. Son incubation chez Smart Food Paris lui a permis d’obtenir 12 000 euros supplémentaires, complétés par une demande de prêt participatif de 100 000 euros via la plateforme Miimosa. Un courtier défend actuellement son projet auprès des banques pour un ultime prêt de 300 000 euros. Etant donné le contexte économique, son aboutissement pourrait prendre plus de temps que prévu. Les 12 000 euros obtenus de la Bpi via Smart Food Paris ont pour l’instant permis de rémunérer l’expert en projets d’éco-innovation Félicien Poncelet, qui a réalisé une étude préalable sur l’optimisation des déchets, indispensable à la mise en route du projet.
Qui est Guillaume Chupeau ? – Ventrus est la deuxième vie professionnelle de cet ex-publicitaire de 47 ans, qui s’est occupé de l’entreprise Michelin pour le compte du groupe états-unien TBWA, troisième acteur de communication français derrière Publicis et Havas. « Dans la famille, on a toujours aimé le vin et la bouffe », explique celui dont la sœur évolue dans le secteur des spiritueux et connaît « pas mal de journalistes et de chefs ». A travers ce projet, Guillaume Chupeau entend réaliser un fantasme de longue date : permettre aux gens de très bien manger tout en profitant de vues incroyables sur les beautés terrestres sans les dénaturer. C’est donc aussi un moyen d’affirmer ses convictions environnementales grâce à un futur écrin pensé autour de l’éco-responsabilité et vecteur d’une alimentation vertueuse. « J’ai une profonde aversion pour la grande distribution, qui abêtit les gens en leur faisant croire qu’il faut toujours chercher le prix le moins élevé alors qu’à côté, il existe des petits producteurs qui ne sont pas beaucoup plus chers », confie l’entrepreneur. Au-delà de ses convictions, Guillaume Chupeau ambitionne avant tout de proposer des moments centrés sur le plaisir « sans faire de mal » à l’environnement. Avant de faire incursion dans un milieu nouveau pour lui, il s’est formé chez Ducasse Education et a fait un stage au restaurant Pirouette à Paris. Pour le reste, ses compétences de « chef d’orchestre » de projets publicitaires devraient lui permettre de fédérer les acteurs qui s’investiront dans Ventrus… et d’en faire parler.

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Pourquoi c’est l’avenir ?
Parce que Ventrus illustre un paradoxe très contemporain : un désir de mouvement et, en même temps, une volonté d’ancrage par le recours aux producteurs « locaux ». Cette tension est déjà palpable dans la multiplication des restaurants « résidences » façon Fulgurances à Paris, qui accueillent de nouveaux chefs au fil des mois tout en revendiquant l’éco-responsabilité et l’aspect local de leurs initiatives. Par son nomadisme, le projet de Guillaume Chupeau se fait le messager des nouvelles pratiques et conceptions qui émergent au sein de la restauration. Des pratiques qui, à force de tâtonnements que d’aucuns jugeront superficiels, finiront par s’ancrer et fonderont les codes de la gastronomie de demain. Une gastronomie à coup sûr plus respectueuse de la nature et émancipée de certaines pratiques tant du point de vue du business que de l’humain.
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Pratique – ventrus.fr / inovaya.eu / weco-toilet.com
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Photographie – ©Ventrus