Il a pisté ses premiers lièvres dans les cuisines du Pré Catelan à la façon d’Aristide Couteau avant d’en lever quelques-uns chez Pierre Gagnaire, adepte du métissage entre la recette du sénateur et celle d’Antonin Carême. Formé comme il se doit, Guillaume Delage aborde désormais cette recette patrimoniale avec sa patte personnelle mais conserve la même exigence. Le chef égrène ainsi sa version originale étape par étape, insistant sur les détails cruciaux. Importance de faire bouillir la marinade à part avant de la remettre sur les cuisses, nécessité d’une compotée d’échalote très vinaigrée, adjonction de cassis et de raisin noir dans la sauce, passage au chinois et au tamis pour en rectifier la consistance. Joignant le geste à la parole dans un élan de passion non feinte, cet admirateur d’Edouard Nignon sait que le plaisir du convive se jouera sur l’équilibre entre l’amertume, l’acidité et la sucrosité. Porté par un assaisonnement irréprochable, goûté et regoûté tout au long de la préparation, le lièvre de Guillaume Delage évite le fréquent écueil d’un excès de puissance tout en offrant la polyphonie gustative qui fait la sève de ce plat de légende. La purée de coing déposée avec une fausse négligence sur le rebord de l’assiette apporte un contrepoint fruité à l’acidité de la préparation, la sauce est concentrée mais n’agresse pas le palais. Sans une once de sécheresse, la viande n’est qu’onctuosité et l’ensemble fait corps. Avec cette interprétation étonnement légère et digeste, le chef ancre avec brio le lièvre à la royale dans son époque. Vaporeuse comme un souvenir, sa recette constitue un trait d’union majestueux entre la grande cuisine d’hier et celle d’aujourd’hui.


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Photographie – © Louis Jeudi