CHEF / MICHELIN 2019
________
Il y a quelques années, personne ou presque n’aurait parié un kopeck sur lui. En 1992, Laurent Petit s’installe au Clos des Sens pour y faire une cuisine qui n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. En cuisine, il démarre seul ou presque. Un jeune cuisinier le rejoint rapidement, Alain Perrillat-Mercerot, aujourd’hui chef étoilé chez Atmosphères (Bourget-du-Lac) qui se transforme en touche-à-tout. Un pâtissier débarque aussi, mais il ne fait que quelques heures et puis s’en va. C’est le début de l’aventure chaotique à Annecy qui le conduira jusqu’à la consécration de la troisième étoile. Laurent Petit revient de loin.
La cuisine, pour le jeune chef né dans un petit village de 720 habitants en Haute-Marne, était tout sauf une évidence. Il faut remonter loin pour comprendre la personnalité du bonhomme, car tout se joue ou presque… à l’école. Jusqu’en classe de CM2, tout roule pour le jeune homme. Il est bon élève, ses parents tiennent la boucherie-charcuterie du village et tout le monde connaît tout le monde dans un cocon protecteur. Changement de décor complet au collège où il se prend une claque en comprenant que l’autorité, ce n’est pas fait pour lui. Laurent Petit redouble sa sixième, il manque de peu de faire de même en cinquième. La cuisine se pose naturellement comme un refuge. Il entre dans le métier par défaut, histoire de… A 20 ans, il entre en école hôtelière, part en stage faire des omelettes et des salades dans un restaurant parisien tenu par Philippe Faure-Brac et Nicolas de Rabaudy. C’est ce dernier, également journaliste de métier, qui l’envoie chez un certain Michel Guérard. Pour Laurent Petit, c’est la révélation : le métier purement alimentaire se mue en passion. Passion qu’il conserve encore aujourd’hui et qui porte ses fruits avec cette récompense ultime.
Veyrat, Petit, changement de leadership
Ils se détestent. Pendant longtemps, Marc Veyrat a tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de Laurent Petit. Et l’homme au chapeau noir avait une crainte : que ce soit lui qui gagne les trois étoiles, et pas un de ces « petits » du lac, Yoann Conte ou Jean Sulpice. Savoir que « Petit » puisse gagner le rendait presque malade… Et là, le pire du pire lui tombe sur la tête : l’année où le chef du Clos des Sens prend la troisième, lui la perd. Gagnée l’an dernier, Marc Veyrat n’en aura même pas profité une année. De fait, ce changement de leadership ne va pas se faire sans douleurs. D’après nos informations, Marc Veyrat pourrait rapidement chercher à vendre son fonds de commerce pour viser moins haut et se reposer. Un repos mérité.
Quand il ouvre à Annecy, Laurent Petit a déjà trainé sa bosse ailleurs, du côté de Briançon. Pourquoi dans ce village des Hautes-Alpes ? Un hasard comme il dit ; il aurait pu partir à Marseille ou à Lille…. Briançon sera le bon choix, il y rencontre sa future femme, Martine, elle-même restauratrice à Serre-Chevallier. En moins d’un an, sa table se fait remarquer par le Gault&Millau, avec une jolie note de 14/20. Pour le tout nouveau couple, c’est l’heure de changer de région. Or Martine est originaire d’Annecy. Bingo ! A 28 ans, c’est l’heure d’acheter un établissement pour Martine et Laurent. Ça tombe bien, c’est la crise et la guerre du Golfe bat son plein. Au tribunal, un restaurant est à vendre. Laurent Petit se retrouve face à cinq juges, que des femmes. Il est seul à enchérir. Il propose 700 000 francs. La réponse d’une juge est cinglante : « Il serait indécent pour Annecy d’accepter une telle offre ». Au bluff, le chef revient et propose 800 000 francs. Le Clos des Sens est à lui. L’histoire lui appartient.